Actualités / Cultures - mardi 04 juin 2013

BertrandTavernier aux Amphis : “Peu de gens connaissent cette époque de la Collaboration”

IL EST arrivé discrètement pendant la projection de son film, “Laissez-passer”, programmé au cinéma Les Amphis le samedi 25 mai. Il a installé sa grande carcasse autour d’une table, dans la salle annexe du cinéma, en compagnie des membres de l’Anacr (Association nationale des Anciens Combattants et ami(e)s de la Résistance) qui avaient organisé sa venue, et de Nassredine Hassani, conseiller municipal, délégué à la Culture. En cette fin d’après-midi grise et pluvieuse, Bertrand Tavernier a devisé un bon moment avec eux, en attendant celui où il rejoindrait les spectateurs après la projection.

On s’est dit qu’au fond, il ressemblait à un personnage de film. On le voit bien dans le rôle qu’il pourrait facilement revêtir, à la vie comme à l’écran : celui d’un personnage imposant, pas seulement physiquement, mais aussi solide comme le roc dans ses convictions. Avec pour tout bagage, une culture encyclopédique. Qu’il parle de cinéma, de jazz ou de littérature, le fils du Résistant et écrivain René Tavernier cite des noms, des anecdotes, des dates, avec une précision sans failles... A 72 ans et avec une cinquantaine films à son actif, Bertrand Tavernier connaît parfaitement les rouages du cinéma. Il est aussi producteur, scénariste, dialoguiste... il a été assistant à la réalisation, attaché de presse, narrateur, figurant...

Film-fleuve

Le film-fleuve “Laissez-passer” (2h50) projeté aux Amphis dévoile justement les multiples activités des coulisses, décors et plateaux de cinéma. L’action se passe surtout à Boulogne, en 1943, au temps où l’essence était rare et le vélo, vital pour se déplacer et rapporter un fagot de brindilles pour le feu du soir chez soi à Paris. Le film four- mille de détails sur les conditions de vie de l’époque, comme sur celles de la production des films et leur tour- nage à la Continental, société de production cinématographique financée par des capitaux allemands depuis 1940. “J’ai eu de longues discussions avec Jean Aurenche (scénariste et poète), qui avait une idée instinctive de la Résistance, puis avec Jean Devaivre, assistant metteur en scène qui avait travaillé à la Continental tout en étant un authentique Résistant”. De la vraie pompe à vélo de Devaivre aux costumes d’époque, le sens de la minutie est présent à chaque instant à l’écran, au service d’une idée : en brossant le portrait de deux réalisateurs confrontés à la guerre, à la collaboration et aussi à la pénurie de moyens artistiques et économiques, Bertrand Tavernier développe une réflexion brillante sur la place des cinéastes dans une époque tourmentée.

Ausculter le métier de cinéaste

C’est son métier de cinéaste qu’il ausculte, sans manichéisme, en questionnant le passé à la lumière de l’histoire de notre société. Face à ce dilemme : accepter ou non de travailler pour la Continental, Tavernier ne tranche pas : “J’ai toujours été frappé par les jugements péremptoires”. Lui privilégie l’interrogation. “Leur choix se réduisait-il à collaborer ou bien continuer à lutter ? Non, pas du tout”. Il argumente : “Le fait de travailler pour cette société de production allemande, la Continental, ne faisait pas d’eux des collaborateurs... En réalité, ils avaient une marge d’action beaucoup plus grande que ceux qui, en travaillant pour l’industrie cinématographique française, devaient se soumettre à la censure. Parmi ces derniers, beaucoup ont d’ailleurs tourné des navets...” Il dit encore : “Je travaille énormément sur mes films”. Une fois lancé, Bertrand Tavernier ne s’arrête plus, et on l’écou- terait des heures durant parler du cinéma, de la solidarité qui régnait à l’époque sur les plateaux, des “machinos” syndicalistes... Il a les yeux qui pétillent derrière ses grosses lunettes carrées, la discussion est animée : “Peu de gens connaissent cette époque, poursuit-il. Pourtant, il y a des historiens, des critiques comme Jacques Siclier qui ont fait des livres remarquables. Et des films formidables ressortent aujourd’hui en DVD”.

L’exception culturelle à préserver

“Aujourd’hui, les conditions de production ne sont pas comparables”, remarque le réalisateur-producteur qui manifeste “une conscience aigüe de l’exception culturelle”et vitupère contre “l’idéologue destructrice” à l’œuvre dans le dernier traité européen. “Sera-t-il renégocié dans un sens où la culture ne serait pas bradée ?” Il l’espère et sans doute, mettra-t-il toutes ses forces d’artiste et d’intellectuel engagé dans la balance. “Mais les grandes sociétés propriétaires d’Internet ne veulent pas qu’il y ait de frein légal à la reproduction et à la diffusion des œuvres”. Ce combat-là se fera sans armes, il n’en sera pas moins rude.

Les Vaudais présents à cette rencontre acquiescent. Nassredine Hassani a rappelé que la manifestation Une ville, des mémoires, organisée par la Ville souligne l'importance de la construction d’une mémoire commune pour bâtir la société d'aujourd'hui. Pour conclure, remettons en exergue ce propos toujours actuel du cinéaste : “Les cinéastes sont des sismographes de leur époque”, en y ajoutant cette citation de Romain Rolland, rappelée par Bertrand Tavernier : “Un héros, c’est celui qui fait ce qu’il peut quand les autres ne font rien”. Et s’il venait tourner un film à Vaulx-en-Velin, notre héros du jour, qu’en penserait-t-il ? “Il faudrait que je trouve un bon scénario”. Avis aux scénaristes...

Françoise Kayser

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