Actualités / Cultures - mercredi 04 février 2015

Khal Torabully veut ouvrir une Maison de la Sagesse à Vaulx

“L’IGNORANCE mène à la peur, la peur mène à la haine, la haine conduit à la violence... Voilà l’équation” disait Averroès, philosophe du 12e siècle. Il est donc primordial de lutter contre l’ignorance de tout bord, développer la connaissance qui englobe la diversité des points de vue. Dans ce sens, rappeler les valeurs de la République ne va pas sans évoquer aussi les trésors de la civilisation islamique. C’est là que s’inscrit l’idée citoyenne du poète mauricien et vaudais Khal Torabully, visant à réactualiser la Maison de la Sagesse(1). La Bayt al Hikma, “ce joyau de la culture arabe”, dit-il, qui accueillait les savoirs de tous et “a fleuri au 9e siècle dans le monde arabo musulman. Aux abords des routes du commerce, là où passaient les denrées, les livres et les objets du savoir, des Maisons de la Sagesse ont vu le jour”.

Il s’agit, aujourd’hui, d’en faire une maison citoyenne et conviviale où s’instaure “le dialogue entre les religions et les thèmes culturels permettant de mieux comprendre l’autre”. Les événements tragiques survenus en France récemment, les radicalités qui font leur ravage en d’autres territoires, donnent plus de sens, encore, à sa démarche.

 

“Fluidité, diversité, fraternité des rives et rêves du monde”.

L’idée est née il y a trois ans, en Espagne, à Grenade. Surgie dans cette cité qui est la preuve éclatante de la coexistence des cultures et de leur mélange fertile, de la “convivancia”, ce vivre ensemble entre juifs, chrétiens et musulmans. Grenade, dernière ville musulmane en Europe, reconquise par les Rois catholiques, le 2 janvier 1492. Une date qui marque la séparation et le rejet, l’exil des musulmans refusant de se convertir, comme le départ de nombreux juifs vers le Maroc, la Turquie... Khal Torabully a voulu raviver la mémoire de la “convivancia”. Il a obtenu de nombreux soutiens symboliques, tels ceux de Moussa Ali Iyé, de l’Unesco, Doudou Diene, ex rapporteur de l’ONU, créateur de la route Al-andaluz, Françoise Souchet, consul de France à Grenade, Jean-Michel Djian, journaliste et spécialiste des manuscrits de Tombouctou... L’acte de naissance de la Bayt al Hikma a été signé à la bibliothèque de l’Andalousie. Le jour de son inauguration était présent Ismaël Diadié Haidara, descendant d’un prince de Tolède. Il y avait aussi Beatriz Sola, issue d’une famille juive de Grenade, qui en prenant la parole ce jour là “a mis fin à cinq siècles de silence des juifs dans l’espace public grenadin”, mentionne Khal Torabully.

Le poète souhaite ouvrir un tel espace de convivialité à Vaulx-en-Velin. Ville multiculturelle, “où l’on a une habitude de la différence et où l’on sent un réel désir de communiquer, de partager. Ville exceptionnelle à mes yeux et où j’habite depuis plus de dix ans”. Dans celle qu’il qualifie de “petite ONU”, il imagine déjà un espace de débat offrant “d’écouter l’autre et d’être écouté”, un lieu “où l’on cherche ce qui nous rassemble”. En total désaccord avec l’idée de “choc des civilisations”, il affirme : “C’est un discours haineux, voulu pour la confrontation Orient/Occident, qui n’est pas fondé et qu’il faut désactiver”. Il combat toute pensée simpliste : “Ni noir, ni blanc, dit-il. Il faut penser gris, développer la pensée du compromis. C’est cela qui fait l’in telligence, développe de la distance”. Khal Torabully imagine des actions tournées vers les jeunes, qui parfois se laissent attirer par les discours radicaux, absorbent “l’info du net” avec trop peu de recul et d’analyse. Il veut agir pour “que les jeunes prennent conscience qu’ils ont, ici, la chance de pouvoir apprendre” ; pour leur inculquer le respect du livre, les inciter à être créatifs et mobiles. Il rêve d’en emmener quelques uns à Grenade, d’autres à Tombouctou... Voyages initiatiques pour voir la beauté du monde et gagner en sagesse.

Fabienne Machurat

(1) La première Maison de la Sagesse a vu le jour à Bagdad, université scientifique construite par le calife Haroun Al-Rachid qui régna entre 786 et 809. Traducteurs, commentateurs, auteurs y travaillaient quotidiennement autour de manuscrits venant de tous horizons (écrits en arabe, perse, hébreux, araméen, syriaque, grec, latin, sanscrit) et traitant de différents sujets scientifiques, concepts philosophiques.

Faire revivre les Maisons de la Sagesse est le projet du poète et sémiologue Khal Torabully. Ce rêve, réalisé à Grenade en 2013, pourrait s’ancrer à Vaulx et au- delà. Pour favoriser la rencontre de toutes les diversités et de tous les savoirs.

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