Société / On ne tue pas la liberté - mardi 20 janvier 2015

Réaffirmer les valeurs républicaines

AU LENDEMAIN des drames, certains professeurs étaient bien désemparés, malgré l’initiative rapide du ministère de l’Education nationale pour mettre en ligne des outils, des éléments de langage. D’autres ont très vite engagé la discussion et fait face aux émotions, aux tensions, au ressentiment, aux provocations.

En primaire, des directeurs et des pro- fesseurs ont abordé le sujet en par- tant des paroles et questions des enfants. En CP à Gagarine, une maîtresse explique : “Au départ je ne voulais pas trop parler des événements. Les enfants évoquaient ce qu’ils voyaient à la télé. Lorsqu’une petite fille a dit “c’est bien fait, ce sont des chrétiens pas des musulmans”, il a fallu réagir” (NDLR. Parmi les victimes, il y avait aussi des musulmans et des juifs). L’enseignante s’est appuyée sur le Petit quotidien, journal des 6-10 ans, qui relatait les attentats. “J’ai utilisé des mots très simples, tenté de donner du sens et dit que l’on pouvait ne pas être d’accord mais pas de là à tuer des personnes”. Deux de ses collègues de Cm2 ont échangé avec leurs élèves dès le jeudi matin. “Ils étaient demandeurs et l’on voulait éviter toute confusion. Qui est Charlie ? demandaient-ils. Il y avait une incompréhension. Les questions étaient multiples”. Recourant eux aussi au Petit quotidien, les pro- fesseurs ont rappelé quelques notions et valeurs républicaines, expliqué la liberté d’expression, le terme de caricature. un enfant a tenu à dire : “ Ceux qui font ça c’est pas nous, car notre dieu interdit de tuer”. Difficile de répondre à celui qui posait la question : “Si c’est pas des vrais musulmans qui ont fait ça, pourquoi des gens tirent sur les mosquées ?”.

 

Discussions engagées à Robert-Doisneau

Au lycée Doisneau, le jeudi, “des élèves voulaient aborder le sujet et ont sollicité des profs mais sans vouloir botter en touche, je préférais d’abord voir ce qui se passe et échanger plus à froid, com- mente le proviseur, Bernard Rosier. Dès le lundi, des profs d’histoire-géo, de philo, de science économique et sociale et d’autres qui se sentaient à même de débattre ont engagé une discussion dans un cadre très établi, pour éviter les débordements”.

Place à l’esprit critique

“Jeudi, j’étais mal à l’aise, j’ai très mal vécu cette journée, confie Ludovic Arnaud, professeur de physique chimie à Doisneau. Il n’y avait que des choses décidées et exprimées par l’institution, sans recueil du point de vue des élèves : la minute de silence, le message “Je suis Charlie” affiché par certains enseignants, la lettre de la ministre aux enseignants. Face à cela il y a eu tout un panel de réactions et un peu de provo- cation. “Je ne suis pas Charlie, ils ont eu ce qu’ils méritaient, ils l’ont bien cherché”, ça a été dit de façon très minori- taire”. Depuis, la parole prend toute sa place, même si les enseignants sont plus ou moins à l’aise pour débattre, “nous sommes dans un échange démocratique sain”, souligne Ludovic Arnaud. “Pour ma part, j’ai tout de suite éprouvé le besoin de discuter. J’ai eu envie de dire aux élèves à quel point je comprenais ceux d’entre eux qui pouvaient ressentir un malaise, que j’étais à leur écoute et disposé au débat. En France, il y a un vrai problème d’islamophobie, des indignations sélectives”, poursuit-il. Ses propos, proches du sentiment éprouvé par de nombreux lycéens ont plutôt surpris ces derniers. Cette empathie facilite le dialogue ; elle aide à “ne pas se braquer sur la provocation à deux balles”, elle libère l’expression, privilégie l’écoute et fait place à la raison, la réflexion.

“Les événements ont ouvert le couvercle de la cocotte minute. Cela inquiète certains de mes collègues. J’y vois pour ma part une opportunité plus qu’une difficulté”, soutient l’enseignant. L’opportunité de réaffirmer le fonde- ment de l’école républicaine. Qui est de former les individus non pas à la pensée unique mais à l’esprit critique, forts d’un savoir nourri de la pluralité.

Fabienne Machurat

 

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