Journal / Portraits - mardi 20 octobre 2015

Salim Kechiouche acteur studieux

AFFABLE, Salim Kechiouche a le tutoiement facile et le ton amical qui va avec. Malgré un planning des plus chargés, entre tournages à rallonge et représentations au théâtre, l’ancien champion de kick-boxing se montre bien plus accessible que ce qu’on aurait pu attendre d’un acteur aussi occupé.

Plonger dans sa filmographie faite de pleins et de déliés, c’est aller à la ren- contre des réalisateurs les plus primés de ces dernières années. De François Ozon à Cécile Sciamma en passant par Abdellatif Kechiche, l’acteur au regard ténébreux enchaîne depuis 20 ans, les projets à un rythme exponentiel, donnant au passage, la réplique à des monuments vivants. Catherine Deneuve et Claudia Cardinale en tête. Il n’est pas pour autant adepte de name-dropping, cette habitude qu’ont certains à placer des noms connus pour tenter d'impressionner. Au contraire, il s’excuserait presque d’en citer quelques-uns au détour de la conversation.

Comme Reda Kateb ou Tahar Rahim, Salim Kechiouche a réussi à ne pas se laisser enfermer dans le carcan de la petite frappe, à ne pas devenir “le cliché du cliché” devant la caméra. C’est d’ailleurs ce qui lui fait aimer le théâtre plus que de raison : “sur les planches, on s’en fout que je sois rebeu ou pas. Othello peut être blanc, Don Juan, noir, et un Asiatique a toute la légitimité pour jouer du Molière”, considère-t-il, avant de souligner n’avoir toutefois aucun problème à jouer les voyous s’il peut “donner une profondeur humaine au personnage”.

A contre-emploi

A l’opposé des rôles de mauvais garçons, son début de carrière, le Vaudais le passe surtout dans les habits d’écorchés conjuguant la confusion des sentiments à tous les temps et à tous les genres, loin de l’univers très masculin du sport de combat d’où il vient. Il pose même pour les artistes Pierre & Gilles et se retrouve à la une du magazine Têtu avec en titre, “Le nouveau Delon”. Une icône est née. "J’ai très vite compris que le fait d’être acteur, ce n’est pas jouer ce qu’on est. Le courage, c’est de prendre des risques et d’aller vers ce qui ne nous est pas familier en se libérant du regard des autres”, note-t-il, saluant au passage l’éducation“bienveillante” et l’ouverture d’esprit que lui ont transmises ses parents. C’est cette curiosité qui l’a poussé à aborder le réalisateur Gaël Morel, à 15 ans à peine. “La chance, elle se provoque, analyse-t-il. J’avais une attirance pour le jeu d’acteur, la caméra et la mise en scène. Même dans la boxe, ce qui me plaisait, c’était le côté spectacle”. Au début, le jeune premier jongle entre l’école, les rôles que lui offre Gaël Morel (A toute vitesse en 1996 et Premières neiges en 1999) et François Ozon (les Amants criminels en 1999) et les gants de boxe. Il décroche même les titres de champion de France de kick-boxing en 1998 et de vice- champion de boxe thaï en 1999 et 2002. Après des études avortées d’Histoire et un passage à l’école de théâtre La Scène sur Saône, il se lance à cor et à cri dans cette carrière qui a déjà tout de prometteuse. Il est tour à tour Orion, le chasseur mythique réputé pour sa beauté et sa violence dans Odysseus (2013) ; Samir, dans La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche (Palme d’or en 2013) ; ou encore Brahim, dans Fortunes (2011), série de Stéphane Meunier. Son premier rôle principal et l’un de ses meilleurs souvenirs. “C’était la première fois qu’on me donnait vraiment les clés, qu’on me faisait confiance”. Kechiouche affiche dés- ormais une dizaine de pièces et une trentaine de courts et longs métrages à son compteur. Des projets faits “de rencontres et d’évidences”. Plus que jamais, l’envie de passer derrière la caméra le taraude – même si “c’est un chemin de croix” –, pour réaliser un film à Vaulx-en-Velin avec les jeunes du quartier où il a grandi.

En attendant, on le retrouvera prochainement dans la peau d’un ex taulard (Voyoucratie), puis aux côtés du rappeur Kery James, pour un film dont le tour- nage vient juste de s’achever. Et toujours dans la pièce Pédagogie de l’échec de Pierre Notte, coup de cœur des critiques au festival d’Avignon, bientôt en tour- née. En dehors des plateaux, l’acteur est aussi capitaine de l’Association sportif du cœur qui lutte contre les discriminations. De quoi tenter de faire bouger un monde qu’il juge de plus en plus anxiogène et sensationnaliste, raison pour la- quelle il a abandonné son poste de télévision au lendemain des évènements de janvier dernier. Salim Kechiouche, un prince au cœur tendre, à la scène comme à la ville.

Maxence Knepper

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