Actualités / Cultures - mercredi 18 juin 2014

Paroles du Mas, le monde se raconte

MAS DU TAUREAU. Si le toponyme évoque les prés et fermes qui ont cédé la place à la Zup à la fin des années 1960, il est devenu en 1990 un symbole des émeutes urbaines. Si la graine de violence n’a pas germé comme celle de la solidarité, la cité a mal vieilli. Le mal-être s’est installé. Aujourd’hui, prime le renouvellement urbain du quartier et le relogement de certains de ses habitants : pas moins de 200 ménages dont une cinquantaine déjà relogée. Le moment est charnière dans l’histoire du Mas et opportun pour recueillir la parole des uns et des autres. La mémoire d’ici vaut d’être entendue.

 

Récits de vie, souvenirs, anecdotes... Joël Bastard, écrivain en résidence de l’association Dans tous les sens, est à l’écoute, tout ouïe et les yeux grands ouverts. “Si on a les yeux ouverts, on voit l’autre”, dit-il. L’écrivain est dans la salle d’attente de la permanence relogement au 1 rue du Mont-Cindre, accompagné par un des membres de l’association Dans tous les sens. Lui écrit les mots de ceux qui racontent. Il retient quelque phrase brève comme : “On ne change pas de vie, on change seulement d’appartement”. Il note des bribes de récits : “Sur mon balcon, il y avait du soleil dès qu’il se levait et jus- qu’au coucher. Je trouve que c’est merveilleux. Mon mari l’avait carrelé, c’était pratique pour le nettoyer”, dit une stéphanoise arrivée en 1973. A l’époque, “il n’y avait presque pas de musulmans. J’ai connu leur gentillesse, leurs coutumes. Cela ne m’a pas posé de problème au contraire. Où j’habite, maintenant, des femmes m’envoient des couscous. Ici, les enfants me portaient mes sacs de courses, je leur donnais des sucettes, on m’appelait madame Bonbon”. Certains ont fait leur vie ici : “Vingt sept ans que je suis là, je suis arrivée le 22 décembre 88. J’étais chez mes parents... Je suis rentrée célibataire et je quitte ici comme grand-mère”. D’autres pointent la dégradation, la délinquance : “On n’en parle pas. J’aimais le quartier avant, mais ce n’est plus pareil. Je ne veux plus de cités”.

 

Atelier d’écriture

Au cœur du Mas, à la bibliothèque Perec, des habitants retrouvent Joël Bastard autour d’une table. Ce mardi, il y a Marie-Noëlle, Rahma, Leila, Naziha. Elles sont là parce qu’elles aiment écrire. Aussi pour le plaisir d’échanger, de se confronter à ses propres mots et à l’avis de l’écrivain. Celui- ci propose : “Ecrivez la place, ses mouvements, son animation en une dizaine de phrases”.Marie-Noëlle décrit le chahut du marché. Ce lieu qui est, pour elle, un point de ralliement. Coïncidence. Aujourd’hui Naziha est venue avec un texte écrit chez elle, sa vision du Mas, en deux temps trois mouvements. Elle lit : “La première fois où mes pieds ont foulé le Mas du Taureau, j’étais comme Neil Armstrong... me revoilà un samedi pas- sant par là... Il y a un monde fou, tout est changé, des femmes de toutes les couleurs, des jeunes, des poussettes qui repoussent la foule plus grande que le Mas lui-même”. Plus loin elle écrit : “Le gris s’est effacé en quelques foulées. Comme le jour où la télé est passée du noir et blanc à la couleur. Ici, on parle toutes les langues. Ici, c’est l’Europe avant l’heure. Ici, c’est la réunification du grand Maghreb, chose que même les pays respectifs n’ont pu faire, le Mas l’a fait. Ici, c’est l’Afrique noire et blanche, les Caraïbes, l’Asie et même l’Amérique. Ici, c’est le monde”.

Fabienne Machurat

Photo © Marion Parent

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