Actualités / Cadre de vie - mardi 18 décembre 2012

Le vivre ensemble se mitonne en cuisine

DANS UNE VILLE où les nationalités sont multiples, les initiatives autour des repas partagés foisonnent, initiées ou encouragées par les associations ou les centres sociaux. Ce sont des femmes, en grande majorité, qui composent ces groupes. Elles valorisent et renouvellent une activité qui leur est traditionnellement dévolue, tout en créant des moments conviviaux. A travers les témoignages recueillis auprès des participantes des différents ateliers cuisine, aux quatre coins de la ville, on observe partout qu’elles valorisent leur savoir-faire et ressentent de la fierté à le faire découvrir et à le transmettre. Ces moments privilégiés favorisent la mixité sociale grâce à l’assimilation des traditions culinaires venues d’horizons lointains ou proches. Plus tard, chez elles, les participantes réutilisent ce qu’elles ont appris. C’est aussi pour elles l’occasion d’accéder à d’autres activités collectives et de participer, par la suite, à la vie de l’équipement et de leur quartier. En cela, elles répondent aux objectifs des centres sociaux et des associations socio-culturelles.

Sortir de chez soi et créer du lien

L’activité cuisine qui s’est développée dans les centres sociaux est rattachée à la genèse de ces centres, elle-même liée à l’évolution de la société. “Les centres sociaux sont nés dans les années cinquante avec le concept domestique suivant : la femme doit être une bonne ménagère, concept lié également à l’hygiénisme. Historiquement, c’était aussi la période de l’exode rural, c’était donc un moyen d’intégration avec l’urbanisation, puis plus tard avec l’immigration. Ensuite, les centres ont suivi l’évolution de la société. Depuis les années quatre- vingt, c’est le lien social qui est mis en avant : des personnes vivant dans de petits appartements ont pu trouver un espace de convivialité à l’extérieur de chez elles”, analyse Myriam Venet, responsable du pôle adultes et familles au centre social Georges-Levy à La Grappinière.

“Les activités proposées ont trait à la vie quotidienne et permettent aux gens de prendre leur place dans un groupe. Lequel est aussi porteur d’un projet. Le rôle du centre social
est d’accompagner les personnes dans un cheminement entre l’action individuelle et le projet collectif ”, poursuit-elle. L’activité cuisine se situe dans cette logique historique et sociologique. “Cuisiner peut être un enfermement quand on le fait de manière contraignante. Cela devient une libération lorsqu’au contraire, cette activité permet de sortir de chez-soi et d’intégrer un groupe”. Ainsi, l’atelier cuisine est une manière d’éviter le repli sur soi tout en valorisant les savoir- faire de chacune : “Notre démarche intègre aussi une dimension culturelle : on peut préparer un plat de chez soi et, ensuite, parler des traditions. On est dans la découverte de l’autre.”

Dans certains cas, l’atelier cuisine s’inscrit d’abord dans un but précis. Celui de récolter des fonds pour monter un projet en commun ou agir pour une action humanitaire est le plus fréquent. Plusieurs groupes de femmes se retrouvent à cet effet au centre social du Sud. “Cela nous permet d’être ensemble et de faire des sorties. Nous avons fait des voyages grâce à l’argent que nous avons gagné en proposant des repas. Parfois, nous allons au théâtre”, relatent Zora, Fatima, Salima, Zahoua et Zina. “C’est aussi un moment de tranquillité et de liberté, loin des soucis quotidiens”, souligne Hakila. Gérard est l’unique homme de ce groupe. Il a été bien accueilli par les autres participantes : “Je voulais découvrir de nouvelles recettes et participer à une activité de mon quartier. L’ambiance est très amicale et très respectueuse des traditions de chacun”, commente-t-il.

A travers la cuisine, les langues se délient
Les élèves de l’Ecole de la deuxième chance ont eux aussi mis en place des activités autour de la cuisine, à l’occasion d’un concours de soupes et pour l’Association solidarité enfants d’Algérie. Sihem Boussaia, l’une des élèves, s’est vu confier la coordination de la préparation de ce repas à vocation humanitaire et raconte : “Cent vingt personnes sont venues, c’était stressant, on ne pensait pas qu’il y aurait autant de monde ! Nous espérons que le projet sera reconduit car cela a permis de récolter des fonds, des jouets et des livres pour les enfants handicapés en Algérie”. Selon Carole Laffitte, animatrice du projet socio-culturel à l’Ecole de la deuxième chance, “c’est une superbe initiative née d’un petit groupe et à laquelle de nombreux stagiaires ont adhéré. Pour eux, c’est une ouverture, une belle expérience de solidarité partagée malgré leurs différences”.

Pour l’association Les petits frères des pauvres, il s’agit de sortir les personnes de leur solitude. La notion du repas partagé s’inscrit ainsi plutôt dans une démarche d’accompagnement à la resocialisation. Elisabeth Herranz, animatrice bénévole, témoigne : “Les personnes qui viennent ont vraiment besoin de se rencontrer. Or cuisiner est à la portée de tous, cela fait partie du quotidien. Il faut d’abord aller faire ses courses, sélectionner les aliments et les associer à la notion de plaisir. Les langues se délient à travers ces moments, on peut évoquer des souvenirs, retrouver des sensations. Nous mettons aussi l’accent sur l’aspect décoratif : dresser une belle table ensemble permet à tous de se sentir bien et de faire un effort d’imagination”.

Quel que soit l’objectif qui motive chacun à s’insérer dans un atelier cuisine, l’enjeu pour les structures qui les organisent est multiple. Il s’agit d’une part, à travers la participation des habitants, d’affirmer leur droit aux loisirs et à l’ouverture culturelle, pour mieux se connaître les uns les autres. Cette activité permet ensuite d’écouter et de recenser leurs attentes. Et de mettre à profit leur expertise en les rendant acteur de la vie de leur quartier.

7846 vues

Commentaires

Vaulx-en-Velin > Journal > Actualités > Cadre de vie > Le vivre ensemble se mitonne en cuisine